JE N’AI PAS ENCORE COMMENCÉ À VIVRE
Théâtre documentaire / jeudi 08 novembre 20h30  / Théâtre Saragosse
2H / TARIF B / SPECTACLE EN RUSSE SURTITRÉ EN FRANÇAIS
LA REPRÉSENTATION EST SUIVIE D’UNE RENCONTRE AVEC L’ÉQUIPE ARTISTIQUE.

Née en 1961, la metteuse en scène russe Tatiana Frolova développe avec sa compagnie le KnAM un théâtre documentaire croisant recherches historiques, archives, mémoires familiales et littérature. Élaboré à l’extrémité de l’Eurasie, à 8000 km de Moscou, dans une petite ville bâtie par les prisonniers d’un goulag, son travail est saisissant de modernité, d’honnêteté et de courage politique. Sa dernière création, Je n’ai pas encore commencé à vivre, révèle les complexités de la Russie d’aujourd’hui et dresse le portrait d’un peuple atteint dans son âme par cent ans de massacres et de mensonges d’État. Avec des photos de famille, des archives mais aussi des témoignages oraux collectés auprès des habitants de sa ville natale, Tatiana Frolova propose une lecture personnelle de l’Histoire et du « tragisme » russe, comme elle nomme ce malaise né de la fin de l’idéalisme politique et de l’effondrement de l’URSS en 1991. Observant la jeunesse russe, elle s’interroge sur le devenir de ceux qui n’ont « pas encore commencé à vivre » et écoute chez eux les prémices d’un élan vital.

« Je n’ai pas encore commencé à vivre est un spectacle qui parle, si je puis dire, magnifiquement, de la terreur, de la peur et du mensonge, du plus haut sommet de l’État jusqu’au moindre village russe, tressant avec maestria des générations d’histoires personnelles avec une vue en surplomb sur le séisme que fut la naissance de l’Union soviétique et ce qui s’ensuivit et s’ensuit encore. » Jean-pierre Thibaudat

Théâtre KnAM • Création documentaire et mise en scène Tatiana Frolova • Matière documentaire textes, images, entretiens, témoignages, extraits d’articles, études, ouvrages historiques et mémoriels collectés par les artistes du Théâtre KnAM • Avec Dmitrii Bocharov, Vladimir Dmitriev, Tatiana Frolova, German Iakovenko, Ludmila Smirnova • Traduction et régie des titres Bleuenn Isambard • Lumière Tatiana Frolova • Son Vladimir Smirnov • Vidéo Tatiana Frolova, Dmitrii Bocharov, Vladimir Smirnov • Photos Alexey Blazhin
PRODUCTION

Production Theatre KnAM - Russie • Production déléguée Célestins Théâtre de Lyon • Coproduction Célestins Théâtre de Lyon, Festival Sens Interdits, Théâtre de Choisy-le-Roi - scène conventionnée pour la diversité linguistique, Théâtre Les Treize Arches - scène conventionnée de Brive • Avec le soutien de l’ONDA

Née en 1961, la metteuse en scène russe Tatiana Frolova développe avec sa compagnie le KnAM un théâtre documentaire croisant recherches historiques, archives, mémoires familiales et littérature. Élaboré à l’extrémité de l’Eurasie, à 8000 km de Moscou, dans une petite ville bâtie par les prisonniers d’un goulag, son travail est saisissant de modernité, d’honnêteté et de courage politique. Sa dernière création, Je n’ai pas encore commencé à vivre, révèle les complexités de la Russie d’aujourd’hui et dresse le portrait d’un peuple atteint dans son âme par cent ans de massacres et de mensonges d’État. Avec des photos de famille, des archives mais aussi des témoignages oraux collectés auprès des habitants de sa ville natale, Tatiana Frolova propose une lecture personnelle de l’Histoire et du « tragisme » russe, comme elle nomme ce malaise né de la fin de l’idéalisme politique et de l’effondrement de l’URSS en 1991. Observant la jeunesse russe, elle s’interroge sur le devenir de ceux qui n’ont « pas encore commencé à vivre » et écoute chez eux les prémices d’un élan vital.

« Je n’ai pas encore commencé à vivre est un spectacle qui parle, si je puis dire, magnifiquement, de la terreur, de la peur et du mensonge, du plus haut sommet de l’État jusqu’au moindre village russe, tressant avec maestria des générations d’histoires personnelles avec une vue en surplomb sur le séisme que fut la naissance de l’Union soviétique et ce qui s’ensuivit et s’ensuit encore. » Jean-pierre Thibaudat

DISTRIBUTION

Théâtre KnAM • Création documentaire et mise en scène Tatiana Frolova • Matière documentaire textes, images, entretiens, témoignages, extraits d’articles, études, ouvrages historiques et mémoriels collectés par les artistes du Théâtre KnAM • Avec Dmitrii Bocharov, Vladimir Dmitriev, Tatiana Frolova, German Iakovenko, Ludmila Smirnova • Traduction et régie des titres Bleuenn Isambard • Lumière Tatiana Frolova • Son Vladimir Smirnov • Vidéo Tatiana Frolova, Dmitrii Bocharov, Vladimir Smirnov • Photos Alexey Blazhin

 
RENDEZ-VOUS
 

TATIANA FROLOVA

Directrice artistique et metteur en scène Theatre KnAM Née en 1961, Tatiana Frolova est diplômée de l’Institut de la culture de Khabarovsk (spécialité mise en scène). En 1985, à l’époque soviétique, elle crée dans sa ville natale de Komsomolsk-sur-Amour (Extrême-Orient russe) le Théâtre KnAM, un des premiers théâtres indépendants de Russie. C’est dans ce lieu dont l’abréviation pourrait être traduite par « (venez) chez nous » que Tatiana Frolova fabrique avec très peu de moyens ses spectacles depuis trente ans. Dans un article paru dans Libération en 1998 Jean- Pierre Thibaudat, alors correspondant à Moscou, qualifie Tatiana Frolova de « pile électrique ». Isolée dans une ville plutôt hostile, mais convaincue qu’on peut y travailler, elle déploie une exceptionnelle énergie pour faire vivre son théâtre et proposer aux habitants des oeuvres contemporaines. En 1999 et 2000, elle présente sa mise en scène de Métamorphoses d’après Kafka au Festival Passages - Nancy, au Festival Kulturgest – Lisbonne et au Festival Unidram - Potsdam. En 2001, elle anime un masterclass avec des comédiens professionnels au CDN de La Manufacture – Nancy autour de Happy Birthday, vaudeville paranoïaque de Konstantin Kostenko, et participe à la première mise en scène en Russie de Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès. En 2002, le Rockfeller Center - New-York lui propose une résidence de trois semaines en Italie pour travailler à son projet d’adaptation du Journal de Kafka. Elle est régulièrement récompensée pour son travail. En 2003, elle reçoit le prix du Président de la Fédération de Russie pour sa contribution au développement du théâtre contemporain en Russie. Depuis une douzaine d’années, elle s’est tournée vers le théâtre documentaire, un théâtre basé sur le recueil de témoignages de vie. En 2007, elle crée Endroit sec et sans eau, d’après le texte autobiographique d’une jeune dramaturge de Saint-Pétersbourg, Olga Pogodina, présenté sur la saison 2009-2010. En 2010, elle met en scène Quai Ouest de Koltès au Théâtre Tilsit - Kaliningrad, Crime et Châtiment d’après Dostoïevski au Théâtre de Komsomolsk-sur-Amour et crée Une guerre personnelle, spectacle consacré à la guerre de Tchétchénie, sujet « tabou » en Russie actuelle. Une guerre personnelle a tourné pendant la saison 2011- 2012. Le spectacle Je suis, consacré aux thèmes de la mémoire et de l’oubli, présenté en France en 2013, dans le cadre du Festival Sens Interdits et du projet européen Interreg IV France-Suisse a tourné en 2014-2015. Dernièrement Tatiana Frolova a créé Le songe de Sonia (2015), d’après le Songe d’un homme ridicule de Dostoïevski, spectacle présenté en France au Festival Sens Interdits avant de tourner dans plusieurs villes. Par ailleurs, Tatiana Frolova anime depuis deux ans une master-class au Conservatoire National Supérieur d’Arts Dramatiques (CNSAD) de Paris. Elle a présenté Crime et Châtiment de Dostoïevski avec les élèves de 3ème année en février 2016. En 2016, Tatiana Frolova bénéficie d’une Chaire Internationale du label Arts-H2H au titre de chercheure dans le domaine des formes théâtrales et du langage théâtral.

SUR LA PIÈCE

Dans l’espace post-soviétique ; le théâtre indépendant est une denrée rare et précieuse. En Russie, le Théâtre KnAM signe Je n’ai pas encore commencé à vivre, un spectacle prenant et bouleversant qui fera date dans l’histoire de la compagnie. Envers et contre tout, et presque tous, le Théâtre KnAM maintient le flambeau d’un théâtre russe indépendant et vigilant, non à Moscou comme le fait le vaillant Teatr.doc, mais là-bas, à l’extrême orient de la Russie, dans une ville au nom rêveur mais fallacieux : Komsomolsk-sur-Amour. L’Amour est un mot (amyre) emprunté à la langue nanaï (la langue que parle Derzou Ouzala dans le film éponyme de Kurosawa) qui veut dire « boue » (les eaux du long fleuve Amour, souvent mitoyen avec la Chine, ne sont jamais claires). Et la ville n’a pas été construite par les jeunes communistes (les komsomols) mais bel et bien par les zeks, les prisonniers du goulag. On mesure mal ici, dans l’univers du théâtre européen somme toute relativement confortable, ce que c’est que de faire et de maintenir en vie (qui est, là-bas, de l’ordre de la survie permanente) à Komsomolsk-sur-Amour un théâtre indépendant qui ne cède à aucune sirène et aucune pression, ni à la fatigue, l’usure, l’envie de tout arrêter, dans une ville sans charme et sans avenir. Mais c’est leur ville, c’est là que sont nés les acteurs du Théâtre Knam (à l’exception d’un seul), c’est là qu’ils vivent, c’est là qu’ils se serrent les coudes et se soutiennent mutuellement et c’est là que s’ancre leur dernier spectacle, Je n’ai pas encore commencé à vivre. C’est de là, dans une région où les camps étaient nombreux (souvent volants pour la construction de la ligne de chemin de fer du BAM, que les acteurs du Knam embrassent l’histoire de leur pays immense depuis un siècle, depuis Lénine. Au final, le spectacle le plus fort, le plus accompli, le plus incisif de leur parcours, qui ne fut pas toujours un chemin de roses. « Nous sommes tous nés en URSS », est-il dit dans le spectacle. Ce n’est pas une réplique, c’est un fait. Je n’ai pas encore commencé un vivre est un spectacle qui parle, si je puis dire : magnifiquement, de la terreur, de la peur et du mensonge, du plus haut sommet de l’État jusqu’au moindre village russe, tressant avec maestria des générations d’histoires personnelles avec une vue en surplomb sur le séisme que fut la naissance de l’Union soviétique et ce qui s’ensuivit et s’ensuit encore. Car l’URSS, après 70 ans de bons et déloyaux services, a beau avoir disparu officiellement au début des années 90, elle vit encore. Vladimir Poutine, ex-officier du KGB, en maintient les braises et en attise le feu en créant par exemple une « journée du tchékiste », un peu comme si, en France, on créait « une journée de la milice ». Façon de dire que le président russe ne renie rien et garde le pays sous sa botte. Dit autrement, « Je n’ai pas encore commencé à vivre » est le pendant théâtral de La Fin de l’homme rouge, ce grand livre de Svetlana Alexievitch (lire ici). Le Théâtre Knam (« K » pour Komsomolsk, « na » qui veut dire « sur » et « am » pour Amyre) est né d’une révolte contre un théâtre officiel, englué dans le conformisme, le laisser-aller et le provincialisme dénoncé en son temps par Tchekhov et qui a ô combien perduré pendant la période soviétique. Cette révolte a été menée par une jeune femme blonde, Tatiana Frolova, qui, à 24 ans, en 1985, décide de fonder son propre théâtre en le façonnant à l’huile de coude, bricolant une salle de 24 places au bas d’un immeuble gris et sans âme comme il y en a tant dans les villes russes industrielles. Là autour d’elle s’agglutinent toutes les énergies artistiques de la ville : des peintres, des musiciens, des acteurs en herbe, des citoyens. 1985, c’est le début des changements en Russie sous Gorbatchev, on y rêve de tous les possibles, une société civile commence à s’ébrouer. « Dans ma vie, je dois tout à la perestroïka », dit Tatiana Frolova dans le spectacle. Car, pour la première fois, elle est en scène. Habituellement, elle se tient dans la cabine de régie pour donner les tops lumière et son ; cette fois, la metteuse en scène est sur la scène, assise sur le côté gauche devant une console, elle prend la parole en premier : « Je m’appelle Tatiana... » Chacun parlera en son nom ; Dmitri Bocharov et Vladimir Dmitriev, compagnons de toujours du Knam, et tout autant les deux nouveaux venus, Guerman Iakovenko et Ludmila Smirnova, deux jeunes nés à Komsomolsk juste avant le démantèlement de l’empire soviétique et qui semblent avoir trouvé dans le Knam un cadre à leur existence ballottée, bafouée et contrariée qu’ils racontent par touches dans le spectacle. Ce n’est pas de l’exhibitionnisme, c’est plus que de simples témoignages. C’est un constant questionnement. Pourquoi Ludmila est dépressive depuis l’enfance et dit n’avoir appris qu’une chose, la haine ? D’où vient le bégaiement de Guerman ? Quel poids pèse sur Volodia dont les grands-parents ont connu les camps et dont le père est né au goulag ? Quel poids pèse sur Dima dont le grand-père, tchékiste, a exécuté son propre père et dont la grand-mère était une dénonciatrice et vivait dans un appartement aménagé avec des meubles ayant 26 appartenu à des exécutés ? Comment la mère de Tatiana se souvenait avoir été très tôt habitée par la peur tout en disant regretter Staline ? Pourquoi une jeune fille de Komsomolsk (que l’on voit en vidéo) interrogée par Tatiana en vient à dire : « Il me semble que je n’ai pas commencé à vivre » ? Le titre du spectacle vient de ses mots. En regard, le KnAM raconte à la serpe des pans de l’URSS. C’est forcément troué, parcellaire et brut, mais c’est une histoire faite de brutalité. Voici Lénine décrit comme un monstre froid, impitoyable et peu soucieux des droits de l’Homme (ce qui n’est pas sans faire écho chez le spectateur à l’actuel président de la Russie). Voici la Tcheka et ses tchékistses, la « terreur rouge », les tribunaux infâmes dont la finalité est définie par Lénine : « Ce tribunal ne doit pas éliminer la terreur mais la justifier et la légaliser. » Voici Staline et « l’homme nouveau » dont le prix entre 1923 et 1953 est évalué selon les sources entre « 25 millions et 80 millions de morts », nous dit le Knam. Tatiana Frolova voit dans les dénonciations des crimes de Staline par Khrouchtchev une occasion manquée : « On n’a pas fait notre procès de Nuremberg. » Mais était-ce possible ? Les juges auraient dû se condamner eux-mêmes après avoir condamné tout le gouvernement. Tout n’est pas noir. Le spectacle est traversé d’instants blagueurs comme une anecdote fictive mais tellement russe à propos des bottes de Staline. Le panorama rapide de la période soviétique ne manque pas de citer des exemples de citoyens qui ont payé leur courage – celui de dire la vérité – par des années de camp et des internements psychiatriques. L’histoire de leur pays, ils la poussent jusqu’aujourd’hui. Jusqu’au cas d’Ildar Dadin condamné par les tribunaux de Poutine pour infraction au droit de manifester, torturé et finalement libéré sous la pression occidentale. Après sa libération, Dadin s’est mis à bégayer, nous dit le Knam. Ce que les acteurs nous font éprouver, c’est la porosité entre leurs vies et l’histoire de leur pays, comment la peur est un hochet offert à sa naissance à chaque enfant de Komsomolsk-sur-Amour. Je n’ai pas encore commencé à vivre est un spectacle dont on peut nuancer voire discuter certaines analyses, mais il est d’une honnêteté impitoyable. Dima : « Il m’a fallu des années pour comprendre l’histoire de ma famille. Mais aujourd’hui au moins, je comprends mieux d’où vient en moi cette peur permanente et irraisonnée. Ou cette retenue excessive. Ou cette incapacité absolue à faire confiance et à vivre une relation intime. Ou encore ce sentiment permanent de culpabilité qui me poursuit depuis l’enfance, autant que je m’en souvienne. » Il n’y a pas d’Amour heureux comme dit le poète, mais c’est leur Amour à eux tous. Pour le meilleur et pour le pire. « Nous tous, nés et élevés en Russie, sommes des descendants des victimes et des bourreaux », dit le Knam. Svetlana Alexievitch ne dit pas autre chose. En 2007, il y eut un tournant dans l’histoire de cette troupe. Après avoir exploré des pièces du répertoire peu jouées en Russie et avoir abordé Bernard-Marie Koltès et Heiner Müller mais aussi l’univers de Dostoïevski (qu’il a retrouvé dans son avant-dernier spectacle comme à contre-temps), le Knam s’est tourné vers un théâtre parlant de la réalité russe, mais en allant bien au-delà d’un simple théâtre documentaire. Ce fut Endroit sec et sans eau (à propos des prisons), Une guerre personnelle (à propos de la Tchétchénie), Je suis (première introspection) dont ce nouveau spectacle est la suite. Il aurait pu avoir pour titre Nous sommes. Ce tournant fut tout autant celui d’une révolution technologique de leurs spectacles. C’est l’époque où apparaissent les nouvelles caméras vidéo, où se développe Internet. Pour une petite troupe isolée au bout du monde, ce fut une double aubaine. Dix ans après, les membres du Knam sont, en la matière, des experts hors pair. Tout le formidable travail visuel et sonore de Je n’ai pas encore commencé à vivre est comme un baume de beauté et de douceur jeté sur leurs vies âpres et la chronique âcre de l’Union soviétique. Pas un instant ils n’ont pensé que ce spectacle coïnciderait avec le centenaire de la Révolution d’Octobre. Enfin, si pour eux Lénine est un être « émotionnellement froid », on ne saurait trop vous conseiller d’aller voir ce spectacle émotionnellement chaud.

Médiapart, Balagan, le blog de Jean-Pierre Thibaudat, 31 octobre 2017

ESPACES PLURIELS
SCÈNE CONVENTIONNÉE
D'INTÉRÊT NATIONAL
ART ET CRÉATION DANSE