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Dans la mesure de l’impossible
Tiago Rodrigues
Théâtre / MERCREDI 14 ET JEUDI 15 DÉCEMBRE 20H  / Le Foirail
2H / TARIF A / À PARTIR DE 14 ANS

Appelé à diriger le Festival d’Avignon à compter de 2023, l’auteur et metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, plusieurs fois invité par la scène Espaces Pluriels, inscrit sa création théâtrale dans une interrogation aiguë de notre humanité à l’aune du système capitaliste. Fils d’une mère médecin et d’un père journaliste, il envisage le théâtre comme une forme d’engagement, une manière de raconter les histoires susceptible de provoquer un sursaut. Combinant le réel à la fiction, son écriture théâtrale s’enracine dans le vécu, la voix et le corps des acteurs présents sur le plateau, avec lesquels il entend participer au monde. Pour son dernier projet, Dans la mesure de l’impossible, il a recueilli à Genève la parole de dizaines d’humanitaires engagés auprès du Comité International de la Croix-Rouge ou de Médecins Sans Frontières. Inspiré de leurs témoignages, le spectacle expose les dilemmes de ces personnes qui vont et viennent entre des zones d’intervention tourmentées et une vie confortable. Quatre comédiens et un musicien déploient ces récits dans leur complexité avec pour fond une grande toile blanche évoquant sans la situer précisément cette géographie ordinaire de la catastrophe. La proximité de la souffrance, du danger, de la violence mais aussi de la dignité et de la résilience humaine dessine une conception acérée du monde qui souvent nous fait défaut. Tiago Rodrigues nous livre ici un spectacle intense, une fresque sidérante sur la dévastation de notre temps et le chaos du monde qui allie l’intime à l’universel sans verser dans le pathos.

SPECTACLE EN FRANÇAIS, ANGLAIS ET PORTUGAIS SURTITRÉ

Texte et mise en scène Tiago Rodrigues — Traduction Thomas Resendes — Scénographie Laurent Junod, Wendy Tokuoka, Laura Fleury — Composition musicale Gabriel Ferrandini, Lumière Rui Monteiro — Son Pedro Costa — Costumes et collaboration artistique Magda Bizarro — Assistanat à la mise en scène Lisa Como — Fabrication décor Ateliers de la Comédie de Genève — Avec Adrien Barazzone, Beatriz Brás, Baptiste Coustenoble, Natacha Koutchoumov, Gabriel Ferrandini (musicien) — Crédit photos Magali Dougados
PRODUCTION

Production Comédie de Genève. / Coproduction Odéon - Théâtre de l’Europe – Paris, Piccolo Teatro di Milano - Teatro d’Europa, Teatro Nacional D. Maria II – Lisbonne, Équinoxe - Scène Nationale de Châteauroux, CSS Teatro stabile d’innovazione del FVG – Udine, Festival d’Automne à Paris, Théâtre National de Bretagne – Rennes, Maillon - Théâtre de Strasbourg - Scène européenne, CDN Orléans - Val de Loire, La Coursive - Scène Nationale La Rochelle. Avec la collaboration du CICR - Comité international de la Croix-Rouge et de MSF – Médecins Sans Frontières.

Appelé à diriger le Festival d’Avignon à compter de 2023, l’auteur et metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, plusieurs fois invité par la scène Espaces Pluriels, inscrit sa création théâtrale dans une interrogation aiguë de notre humanité à l’aune du système capitaliste. Fils d’une mère médecin et d’un père journaliste, il envisage le théâtre comme une forme d’engagement, une manière de raconter les histoires susceptible de provoquer un sursaut. Combinant le réel à la fiction, son écriture théâtrale s’enracine dans le vécu, la voix et le corps des acteurs présents sur le plateau, avec lesquels il entend participer au monde. Pour son dernier projet, Dans la mesure de l’impossible, il a recueilli à Genève la parole de dizaines d’humanitaires engagés auprès du Comité International de la Croix-Rouge ou de Médecins Sans Frontières. Inspiré de leurs témoignages, le spectacle expose les dilemmes de ces personnes qui vont et viennent entre des zones d’intervention tourmentées et une vie confortable. Quatre comédiens et un musicien déploient ces récits dans leur complexité avec pour fond une grande toile blanche évoquant sans la situer précisément cette géographie ordinaire de la catastrophe. La proximité de la souffrance, du danger, de la violence mais aussi de la dignité et de la résilience humaine dessine une conception acérée du monde qui souvent nous fait défaut. Tiago Rodrigues nous livre ici un spectacle intense, une fresque sidérante sur la dévastation de notre temps et le chaos du monde qui allie l’intime à l’universel sans verser dans le pathos.

DISTRIBUTION

Texte et mise en scène Tiago Rodrigues — Traduction Thomas Resendes — Scénographie Laurent Junod, Wendy Tokuoka, Laura Fleury — Composition musicale Gabriel Ferrandini, Lumière Rui Monteiro — Son Pedro Costa — Costumes et collaboration artistique Magda Bizarro — Assistanat à la mise en scène Lisa Como — Fabrication décor Ateliers de la Comédie de Genève — Avec Adrien Barazzone, Beatriz Brás, Baptiste Coustenoble, Natacha Koutchoumov, Gabriel Ferrandini (musicien) — Crédit photos Magali Dougados

   

Tiago Rodrigues
Depuis ses débuts en tant qu’auteur, à l’âge de 20 ans, Tiago Rodrigues a toujours envisagé le théâtre comme une assemblée humaine : un endroit où les gens se rencontrent, comme au café, pour y confronter leurs idées et partager leur temps. Alors qu’il est encore étudiant, il croise pour la première fois la compagnie tg STAN en 1997 qui confirme son penchant pour un travail collaboratif sans hiérarchie. La liberté rencontrée avec ce collectif belge influencera à jamais ses futurs travaux. En 2003, il cofonde avec Magda Bizarro la compagnie Mundo Perfeito, avec laquelle il crée et présente près de 30 spectacles dans plus de 20 pays. Il devient une présence récurrente d’événements comme le Festival d’Automne à Paris, le METEOR Festival en Norvège, le Theaterformen en Allemagne, le Festival TransAmériques au Canada, kunstenfestivalsdesarts en Belgique, etc. Il collabore avec un grand nombre d’artistes portugais et internationaux, ainsi qu’avec des chorégraphes et des danseurs. Il enseigne le théâtre dans plusieurs écoles, notamment l’école de danse belge PARTS, dirigée par la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker, la haute école de théâtre de Suisse romande La Manufacture, et le projet international L’École des Maîtres. Parallèlement à son travail théâtral, il écrit des scénarios pour des films et des séries télévisées, des articles, de la poésie et des essais. Ses pièces les plus récentes, récompensées par divers prix nationaux et internationaux, lui ont permis d’accroître sa notoriété internationale. Ses œuvres les plus notables sont By Heart, Antoine et Cléopâtre, Bovary, Sa façon de Mourir et Sopro, jouée au Festival d’Avignon 2017. Qu’il combine des histoires réelles à de la fiction, qu’il revisite des classiques ou adapte des romans, le théâtre de Tiago Rodrigues est profondément ancré dans la notion d’écrire avec et pour les acteurs, recherchant une transformation poétique de la réalité grâce aux outils du théâtre. Cette aspiration est évidente dans des projets tels que l’Occupation Bastille, occupation artistique du Théâtre de la Bastille par près d’une centaine d’artistes et de spectateurs, qui a eu lieu en 2016. En 2018, il est récompensé par le XV Prix Europe Nouvelles Réalités Théâtrales.
Tiago Rodrigues est un bâtisseur de ponts entre les villes et les pays, en même temps qu’il est l’amphitryon et le défenseur d’un théâtre vivant. Depuis 2015 il est directeur artistique du Teatro Nacional D. Maria II à Lisbonne. En 2021, il est nommé à la tête du Festival d’Avignon et présente dans la Cour d’honneur du Palais des Papes La Cerisaie avec Isabelle Huppert.
Tous ses textes sont traduits en français et édités par Les Solitaires Intempestifs.

A l’impossible, nul n’est tenu
En cinéma comme en théâtre, la veine documentarisante est, depuis quelques années, particulièrement régénérée et créative, comme si l’approche directe du réel obligeait à davantage de parti pris formel. La dernière création de Tiago Rodrigues, saisissante dans sa maîtrise dramaturgique, en est la brillante démonstration. Les entretiens multilingues menés auprès de travailleurs de la Croix Rouge et de Médecins Sans Frontières à Genève révèlent combien la représentation des questions éthiques et intimes de l’action humanitaire pose problème : que faut-il montrer ou ne pas montrer, au risque du double bind d’une périlleuse indécence ? C’est dans le choix de se cantonner aux témoignages, intégrant la conscience aiguë de leurs propres limites, que se déroule le projet de Tiago Rodrigues, dont le titre polysémique est d’abord la mesure de l’impossible complexité des enjeux. Devant cette complexité, le choix est fait de ne rien nommer – ni les lieux, ni les personnes – et de laisser se dérouler l’abstraction universalisante de récits dont les détails s’avèrent, en contraste, d’une précision et d’une singularité qui n’appartiennent qu’à eux.
En épurant le dispositif scénique à une scénographie minimaliste mais puissante – d’immenses draps blancs bientôt tendus en une tente-linceul éminemment symbolique, et un percussionniste jouant en live au centre du plateau –, Tiago Rodrigues prend le risque de laisser planer toute l’ambiguïté du projet : qu’est-ce qui, au-delà d’une parole impérieusement émouvante et dont la puissance de réalité et de violence ne peut que conduire au saisissement, subsiste qui fasse théâtre ? C’est à ce point d’achoppement que se révèle son talent de metteur en scène : minutie de la direction d’acteurs, fluidité des enchaînements, élégance des contrastes narratifs, le tout s’opérant dans l’évitement du pathos. On ne cherchera pas ici à tenter d’analyser le sous-texte politique ou de démêler les contradictions inhérentes à une partie de l’action humanitaire, et l’univocité dramaturgique qui empile les récits pendant deux heures atteint une sorte de seuil de saturation de l’écoute. Mais c’est peut-être justement à ce point limite qu’il fallait arriver, comme une façon de rappeler que, dans l’intention empathique des luttes, pour agir il faut d’abord être capable d’entendre pleinement l’autre. Le constat, porté par ces figures de l’humanitaire incarnées par quatre comédiens impeccables (avec, en point d’orgue, le fado poignant de Beatriz Brás), est évidemment terrible et cruel pour ses intercesseurs, condamnés pour la plupart à ne jamais complètement se remettre de la prise de conscience qu’ils ne changeront pas le monde. Cette violence cognitive, le travail percussif de Gabriel Ferrandini, qui ponctue et conclut – lourdement – le spectacle, la rappelle avec une certaine brutalité : ce dont on ne peut parler, il faut bien le taire. Le dispositif sonore, tout en échos métalliques, projette littéralement la résonance des mots dans les corps. Il est rare, comme spectateur, d’être autant tenu du début à la fin dans un état de suspension et de tension aussi vif, sans rien abdiquer devant une quelconque injonction éthique : du grand théâtre politique, en somme.
Mathias Daval, I/O, La Gazette des Festivals, 10 février 2022.

Vous aimez la fiction, pourtant dans ce projet vous partez du réel, de la réalité de ces récits qui racontent des histoires vraies. Comment se passe le passage du matériau documentaire à la forme artistique ?
Lorsque quelqu’un raconte une histoire – même s’il s’agit d’un événement qui a réellement eu lieu – une couche de fiction apparaît déjà qui tient aux mots et à la forme que la personne choisit pour raconter cette histoire. Raconter une histoire, même vraie, implique une mise en intrigue dans laquelle interviennent déjà des procédés qui appartiennent à la fiction. J’écris souvent à partir de documents, que ceux-ci soient documentaires ou littéraires : le texte de Shakespeare lorsque je réécris Antoine et Cléopâtre, les archives de la censure pendant la dictature au Portugal lorsque je crée Três dedos abaixo do joelho (Trois doigts sous le genou), ou ici des entretiens avec des humanitaires. Que le contenu soit réel ou fictif importe peu au fond, mon intervention n’est pas très différente, elle consiste toujours à établir un dialogue avec un matériau qui préexiste, et dans ce dialogue je prends la liberté que je peux prendre vis-à-vis de l’original, qui est le document. Le geste fictionnel n’a donc rien à voir avec le fait de savoir si ce qu’on raconte est vrai ou pas. C’est le geste qui amène ce fait, vrai, vers la scène de théâtre.

D’où vous est venu ce besoin de raconter ces histoires-là, celles de personnes travaillant dans l’humanitaire ?
À un moment donné, j’ai été en contact avec plusieurs personnes du CICR, et j’ai été impressionné de rencontrer ces gens dont on entend souvent parler mais que je n’avais, pour ma part, jamais eu l’occasion de connaître personnellement. Le geste de soigner, de soulager, je le connais à travers ma mère qui est médecin. Je trouve que c’est la seule vraie profession. Toutes les autres sont importantes bien sûr, mais les plus sacrées à mes yeux sont celles qui s’occupent du care. Il n’y a pas de mot en français qui traduise cela – en portugais on dit cuidar – ce n’est pas exactement soigner, plutôt prendre soin. Les humanitaires ont accès à des moments et des lieux de l’histoire qui leur donnent un regard sur le monde qui nous manque. La proximité de la souffrance, du danger et de la violence, mais aussi de la dignité et de la résilience humaine, leur donne accès à une lecture du monde dont nous sommes incapables.

Est-ce que ces rencontres ont changé votre perception de l’humanitaire ?
Oui, j’en ai découvert la complexité. Avant le projet, je les considérais comme des personnages romantiques, des héros qui changent vraiment les choses. Lorsque nous les avons rencontrés – des gens brillants, impressionnants, des aventuriers – toutes et tous nous ont dit : non, nous ne sommes pas des héros, on fait juste ce qu’on peut. Mon admiration n’a fait alors qu’augmenter et je les ai trouvés d’autant plus héroïques qu’ils affirmaient ne pas l’être. Et puis j’ai découvert leur capacité d’autocritique et de réflexion, leur aptitude à problématiser toute l’expérience de l’humanitaire. Ils et elles sont en prise constante avec des situations d’une extrême complexité dans lesquelles la frontière entre les gentils et les méchants se brouille. Pour condamner ceux que l’on considère comme les méchants, ceux qui ne respectent pas les droits humains, il faut se poser la question de savoir où se trouve la source du problème – et donc la source de toute cette souffrance qu’ils se sont donné pour mission d’alléger – et cette question finit presque toujours par nous revenir au visage. La source de cette souffrance qui nous indigne, quand on enquête vraiment, se trouve chez nous, dans notre système capitaliste qui a envahi toute la planète et adultéré les valeurs fondamentales. Une des humanitaires que nous avons rencontrée nous a dit : « on est juste là pour gagner du temps ». Pas changer le monde, non, au mieux essayer de soulager, gagner du temps sur le pire. Quand je me suis rendu compte qu’eux-mêmes, mieux que n’importe qui, prenaient toute la mesure de cette complexité, j’ai compris qu’ils n’étaient pas des héros romantiques mais des héros tragiques, à l’image des personnages de Sophocle : ils savent pertinemment qu’ils vouent leur vie à faire quelque chose qui ne va pas changer le monde, alors que changer le monde faisait partie de leur motivation première à s’engager dans cette voie de l’humanitaire. Le fait même que l’activité humanitaire existe – non seulement existe mais perdure, de plus en plus, dans la durée, en continu – le fait même qu’elle existe trace un portrait tragique de l’humanité.
Propos recueillis par Arielle Meyer MacLeod pour la Comédie de Genève.

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