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Julie Berès
Les Cambrioleurs
Théâtre / Lundi 13 mai 20h30  / Le Parvis - Tarbes
1H45 / TARIF A

Avec une équipe de huit comédiens et danseurs à l’énergie débordante, Julie Berès explore le sens de la virilité dans l’ère post-MeToo. Un témoignage d’une sincérité touchante dans une forme théâtrale musclée.

Après Désobéir (2017), qui retraçait l’itinéraire de femmes issues des deuxièmes et troisièmes générations de l’immigration en France, Julie Berès dévoile le quotidien sentimental, affectif et sexuel de jeunes hommes élevés dans les valeurs normatives du patriarcat. L’autrice et metteuse en scène est allée à leur rencontre pour les questionner sur leur lien au masculin et à la virilité. Qu’est-ce qu’être un homme ? Comment être un mec bien ? Qu’est-ce qu’être un bon amant ? Un bon fils ? Un bon père ? Agés de 25 à 41 ans, les interprètes affichent, avec une bonne dose d’autodérision, leurs masculinités plurielles : de l’homosexualité sexy et joyeuse à la physicalité puissante du breaker, en passant par les arabesques d’un danseur classique. Entre réalité et fiction, ces hommes se débattent devant nous avec les clichés du masculin et, dans l’acceptation de leur vulnérabilité, ébranlent les injonctions de la société. Le spectacle alterne joutes collectives et confidences individuelles sur un plateau qui rappelle un bunker hérité de quelque guerre passée. Dans ce ballet survolté aux allures sauvages, Julie Berès questionne avec finesse les nouveaux contours de la masculinité.

Dans le cadre de la saison du Parvis scène nationale Tarbes Pyrénées

Avec Bboy Junior (Junior Bosila), Natan Bouzy, Naso Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner, Mohamed Seddiki — Conception et mise en scène Julie Berès — Écriture et dramaturgie Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, — avec la collaboration d’Alice Zeniter — Chorégraphe Jessica Noita — Accompagnatrice de tournée Alice Gozlan et Béatrice Chéramy — Création lumière Kélig Le Bars — Création son et musique Colombine Jacquemont — Assistant à la composition Martin Leterme — Scénographie Goury — Création costumes Caroline Tavernier et Marjolaine Mansot — Régie générale Quentin Maudet — Régie plateau Dylan Plainchamp — Remerciements à Florent Barbera, Karim Bel Kacem, Johanny Bert, Victor Chouteau, Mehdi Djaadi, Elsa Dourdet, Emile Fofana et Nicolas Richard pour leurs précieuses collaborations. — Le décor a été construit par l’Atelier du Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique-Nantes. — Crédit photo Axelle de Russé
PRODUCTION

Production Compagnie Les Cambrioleurs direction artistique Julie Berès // Coproductions et soutiens La Grande Halle de la Villette, Paris La Comédie de Reims, CDN Théâtre Dijon-Bourgogne Le Grand T, Nantes ThéâtredelaCité – CDN de Toulouse Occitanie Scènes du Golfe, Théâtres de Vannes et d’Arradon Les Théâtres de la Ville de Luxembourg Les Tréteaux de France, CDN d’Aubervilliers Points Communs, Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise/Val d’Oise Nouveau Théâtre de Montreuil CDN Théâtre L’Aire Libre, Rennes Scène nationale Chateauvallon- Liberté Théâtre de Bourg-en-Bresse, Scène conventionnée La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc Le Canal, Scène conventionnée, Redon Le Quartz, Scène nationale de Brest Espace 1789, St-Ouen Le Manège-Maubeuge, Scène nationale Le Strapontin, Soutiens Fonds d’insertion de l’ESTBA et de l’ENSATT, avec la participation artistique du Jeune Théâtre National. // La Compagnie les Cambrioleurs est conventionnée par le Ministère de la Culture / DRAC Bretagne et soutenue par la Région Bretagne, le Conseil Départemental du Finistère et la Ville de Brest. Julie Berès est artiste associée du projet du Théâtre Dijon-Bourgogne, dirigé par Maëlle Poésy

Avec une équipe de huit comédiens et danseurs à l’énergie débordante, Julie Berès explore le sens de la virilité dans l’ère post-MeToo. Un témoignage d’une sincérité touchante dans une forme théâtrale musclée.

Après Désobéir (2017), qui retraçait l’itinéraire de femmes issues des deuxièmes et troisièmes générations de l’immigration en France, Julie Berès dévoile le quotidien sentimental, affectif et sexuel de jeunes hommes élevés dans les valeurs normatives du patriarcat. L’autrice et metteuse en scène est allée à leur rencontre pour les questionner sur leur lien au masculin et à la virilité. Qu’est-ce qu’être un homme ? Comment être un mec bien ? Qu’est-ce qu’être un bon amant ? Un bon fils ? Un bon père ? Agés de 25 à 41 ans, les interprètes affichent, avec une bonne dose d’autodérision, leurs masculinités plurielles : de l’homosexualité sexy et joyeuse à la physicalité puissante du breaker, en passant par les arabesques d’un danseur classique. Entre réalité et fiction, ces hommes se débattent devant nous avec les clichés du masculin et, dans l’acceptation de leur vulnérabilité, ébranlent les injonctions de la société. Le spectacle alterne joutes collectives et confidences individuelles sur un plateau qui rappelle un bunker hérité de quelque guerre passée. Dans ce ballet survolté aux allures sauvages, Julie Berès questionne avec finesse les nouveaux contours de la masculinité.

DISTRIBUTION

Avec Bboy Junior (Junior Bosila), Natan Bouzy, Naso Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner, Mohamed Seddiki — Conception et mise en scène Julie Berès — Écriture et dramaturgie Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, — avec la collaboration d’Alice Zeniter — Chorégraphe Jessica Noita — Accompagnatrice de tournée Alice Gozlan et Béatrice Chéramy — Création lumière Kélig Le Bars — Création son et musique Colombine Jacquemont — Assistant à la composition Martin Leterme — Scénographie Goury — Création costumes Caroline Tavernier et Marjolaine Mansot — Régie générale Quentin Maudet — Régie plateau Dylan Plainchamp — Remerciements à Florent Barbera, Karim Bel Kacem, Johanny Bert, Victor Chouteau, Mehdi Djaadi, Elsa Dourdet, Emile Fofana et Nicolas Richard pour leurs précieuses collaborations. — Le décor a été construit par l’Atelier du Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique-Nantes. — Crédit photo Axelle de Russé

   

Julie Berès
Dans le paysage théâtral français, Julie Berès a la caractéristique de traduire sur scène les contours d’un « espace mental », loin de toute forme de naturalisme, et de concevoir chaque spectacle comme un« voyage onirique » où se mêlent éléments de réalité (qui peuvent être apportés par des textes, ainsi que par une collecte de témoignages) et imaginaire poétique. Les images scéniques qui résultent d’une écriture de plateau polyphonique (textes, sons et musiques, vidéo, scénographies transformables) construisent un canevas dramaturgique, qu’il serait trop réducteur de qualifier de théâtre visuel. La notion de « théâtre suggestif » paraît plus juste : il s’agit en effet de mettre en jeu la perception du spectateur, en créant un environnement propice à la rêverie (parfois amusée) autant qu’à la réflexion. Née en 1972, Julie Berès passe la plupart de son enfance en Afrique. Lorsqu’elle arrive en France, à 18 ans, c’est avec l’intention d’y poursuivre des études de philosophie. Mais le Festival d’Avignon, où ses parents l’amènent chaque été, et la rencontre avec Ariane Mnouchkine, lors d’un stage de masques au Théâtre du Soleil, en décident autrement. En 1997 elle intègre le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Avec Poudre ! (2001) Elle fonde sa propre compagnie, Les Cambrioleurs. Dès ce premier spectacle, le ton est donné dans une mise en scène qui, comme l’écrit alors Libération, « mêle le féerique et le burlesque. » Suivent, dans une veine assez proche où les souvenirs absents ou défaillants composent les méandres d’un espace mental fantasmé, Ou le lapin me tuera (2003) et E muet (2004), ainsi que la réalisation collective, avec quatre autres metteurs en scène, de Grand-mère quéquette (2004), adaptation théâtrale d’un roman de Christian Prigent. Le goût d’une « dramaturgie plurielle », où interfèrent textes, scénographie, création sonore et vidéo, s’affirme plus nettement avec On n’est pas seul dans sa peau, créé en 2006. Avec ce spectacle, qui aborde la question sensible du vieillissement et de la perte de mémoire, Julie Berès inaugure en outre une méthode de travail qu’elle qualifie « d’immersion documentaire » : avec une scénariste, Elsa Dourdet, et un vidéaste, Christian Archambeau, elle partage pendant quelque temps le quotidien de personnes âgées vivant en maison de retraite, et multiplie des entretiens préparatoires avec des médecins, gérontologues, sociologues, etc. Ce principe d’immersion documentaire sera renouvelé en 2008 pour la création de Sous les visages, autour des pathologies liées à l’addiction, et en 2010, avec Notre besoin de consolation, qui évoque les enjeux contemporains de la bioéthique. A l’horizon de Soleil Blanc (création 2018), il s’agit encore, à partir des craintes planétaires liées au réchauffement climatique, d’interroger des enfants de 4 à 7 ans sur notre rapport à la nature, et par des questions simples et métaphysiques, de parler d’écologie loin de tout catastrophisme. Parallèlement, Julie Berès a développé une écriture scénique qui s’affranchit du réalisme, et restitue toute la part d’inconscient, de rêve, de fantasmes, qui hante nos vies. En 2015, avec Petit Eyolf, spectacle qui part pour la première fois d’un texte existant, elle parvient à faire ressortir l’inquiétante étrangeté du conte qui fut à la source du drame d’Henrik Ibsen. Si elle assume pleinement les options de mise en scène et de direction d’acteurs, Julie Berès revendique une « pratique collégiale » dans l’élaboration des spectacles. Suivant les cas, y concourent scénaristes, dramaturges, auteurs (comme pour la création de Soleil Blanc, ou pour Désobéir écrit avec Kevin Keiss et Alice Zeniter) et traducteurs (la romancière Alice Zeniter pour Petit Eyolf), chorégraphes, mais aussi scénographes, créateurs son et vidéo, n’hésitant pas à irriguer l’écritur théâtrale d’accents de jeu venus de la danse ou des arts du cirque, tout autant que des ressources offertes par les nouvelles technologies. Enfin, parallèlement au travail de sa compagnie, Julie Berès a fait en 2016 une première incursion dans le domaine de l’opéra, avec un Orfeo créé pour les jeunes talents lyriques de l’Académie de l’Opéra de Paris ; et elle a dirigé les étudiants en fin de cursus de l’ENSATT, dans une adaptation de Yvonne princesse de Bourgogne, de Witold Gombrowicz. Depuis septembre 2021, Julie Berès est artiste associée du projet du Théâtre Dijon-Bourgogne, dirigé par Maëlle Poésy.

Désireuse d’expérimenter une forme originale d’écriture scénique, Julie Berès propose à des interprètes, à des vidéastes, des plasticiens, circassiens, marionnettistes et musiciens de participer à un atelier commun. Ariel Goldenberg, alors directeur du Théâtre National de Chaillot fait une halte afin de découvrir ce travail en cours. Conquis, il décide de programmer Poudre ! premier spectacle de la compagnie. Le Théâtre de la Manufacture-Centre Dramatique National de Nancy, dirigé par Charles Tordjman, et la Grande Halle de La Villette se joignent à la production. Poudre ! va permettre de sceller un partenariat fidèle et précieux pour la compagnie, qui facilitera en 2003 et 2004 les créations de Ou le lapin me tuera (à la Biennale Internationale de la Marionnette) et de E muet. En 2005, Alain Mollot et Alexandre Krief, co-directeurs du Théâtre Romain Rolland de Villejuif, accueillent Julie Berès comme « artiste en compagnonnage ». En octobre 2006, la création de On n’est pas seul dans sa peau a lieu à l’Espace des Arts-Scène Nationale de Chalon-sur-Saône, qui propose d’en assumer la production déléguée. En 2007, Julie Berès est invitée à devenir « artiste associée » au Quartz-Scène Nationale de Brest, où seront créés en 2008 et 2010 Sous les visages et Notre besoin de consolation (en production déléguée avec l’Espace des Arts). C’est à ce moment que Les Cambrioleurs s’implante à Brest. Cette association et la structuration administrative de la compagnie permettent de développer sur le territoire breton tout un éventail d’actions artistiques et pédagogiques en milieu scolaire et universitaire, auprès d’adultes amateurs ou à destination de populations exclues ; tout en créant des synergies avec les milieux de la recherche, de l’éducation et de l’action sociale. Les discussions engagées avec les partenaires institutionnels aboutissent au conventionnement de Les Cambrioleurs par la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bretagne, en 2008. En 2011, la Région Bretagne conventionne également la compagnie et la Mairie de Brest à partir de 2014. Par ailleurs, ses projets seront soutenus par le Conseil Général du Finistère. Cet engagement des collectivités permet la mise en place d’une structuration pérenne pour la compagnie qui se poursuit aujourd’hui encore. Entre 2008 et aujourd’hui, les spectacles de la compagnie Les Cambrioleurs rencontrent une diffusion en constante progression. Après Sous les visages et Notre besoin de consolation, présentés au Théâtre de la Ville (Abbesses), Julie Berès crée en 2010 Lendemains de fête à la MC2 de Grenoble (producteur délégué du spectacle). Entre 2013 et 2015, elle est artiste associée à la Comédie de Caen-CDN de Normandie où est créé Petit Eyolf. La compagnie est soutenue depuis 2016 par le Ministère de la Culture et de la Communication au titre de l’aide à l’indépendance artistique. Cette même année, Julie Berès et son équipe reçoivent une invitation de l’Opéra National de Paris à mettre en scène Orfeo de Monteverdi avec des jeunes talents lyriques et les Cris de Paris, à l’Opéra Bastille. En 2017 et sur l’invitation de Marie-José Malis, elle créé la pièce d’actualité Désobéir à La Commune-Centre Dramatique National d’Aubervilliers, puis, Soleil Blanc, voit le jour en 2018 au Grand R, Scène Nationale de la Roche-sur-Yon. Les Cambrioleurs est un pôle de création à géométrie variable, au sein duquel convergent des artistes divers, qui viennent associer leurs techniques et langages respectifs. L’atelier initial, qui fut à l’origine de la compagnie en 2001, s’est affiné, diversifié et enrichi. Mais c’est ce même esprit de recherche et de croisement des formes, qui continue d’animer les mises en scène de Julie Berès.

« La Tendresse » En son homme et conscience.
Le nouveau spectacle de Julie Berès interroge la construction de la masculinité.
En 2016, Julie Berès, autrice, metteuse en scène, chorégraphe, inventait, avec la complicité de Kevin Keiss et Alice Zeniter Désobéir, un spectacle sur les vertus de l’insoumission qui rompait néanmoins avec tout ce qu’on pouvait craindre de convenu dans ce plaidoyer en sa faveur. C’était une petite forme, avec peu de décors, peu de moyens, « une pièce d’actualité » comme en commande régulièrement Marie-José Malis à la tête du théâtre de la Commune à Aubervilliers, et qui interrogeait comment, par leur faculté de dire « non », quatre jeunes femmes de tous milieux et issues de l’immigration, échappaient à l’asservissement. La pièce aurait dû se jouer une poignée de jours. Le bouche-à-oreille a fait le reste, les réseaux se sont enflammés, et, chose rare, ce sont les jeunes gens qui ont été les premiers au rendez-vous. Si bien que la pièce, qui questionne la faculté de modifier sa ligne de vie, connaît elle aussi un changement de perspective : elle tourne encore aujourd’hui. Six ans plus tard, Julie Berès ausculte toujours en compagnie de Kevin Keiss, mais aussi de Lisa Guez - - Alice Zeniter participe à l’écriture mais de manière plus distante - - le prisme du masculin. Il s’agit de saisir comment les jeunes hommes éprouvent aujourd’hui leur virilité. Pour paraphraser Simone de Beauvoir, comment ils deviennent homme, se débattent avec les injonctions contradictoires que leur adressent la sphère familiale, le monde du travail et surtout les exigences de la vie amicale et amoureuse. Qu’est-ce qui construit un « homme » dès lors que ses remparts traditionnels prennent l’eau ? Non, ne fuyez pas ! Même si la thématique de cette nouvelle pièce bien nommée la Tendresse semble se couler dans l’air du temps comme du béton dans un moule, on peut faire confiance à Julie Berès et ses acolytes mais aussi aux huit jeunes hommes au plateau, qui viennent du Congo, de Picardie, de l’opéra ou du hip-hop, pour incarner des singularités et faire voler en morceaux tout ce qui peut sembler trop rigide dans les intentions. Pur présent. Au café où l’on croise Julie Berès et Kevin Keiss pendant la trêve des confiseurs, la metteuse en scène est beaucoup plus volubile que son acolyte, qui observe la situation. Écouter était d’ailleurs l’une de ses fonctions, puisque en compagnie de Lisa Guez et Julie Berès, qui a effectué la plus grosse partie de l’enquête, il a commencé par rencontrer une quarantaine de jeunes gens. Du théâtre documentaire ? Julie Berès réfute cette notion : « Une fois qu’on a constitué nos problématiques et recruté l’équipe des acteurs danseurs - -dont un danseur virtuose classique qui n’avait jamais joué la comédie - - il y a un va-et-vient entre l’écriture de fiction, et la porosité des lignes biographiques. » Le trouble, dans ce théâtre sérieusement documenté et affamé des autres, provient du sentiment que tout ce qui se passe sur scène surgit comme par enchantement, dans un pur présent. Kevin Keiss acquiesce : « On tend vers un théâtre performatif dans la mesure où il semble n’exister que dans l’instant. » Julie Berès : « Et immersif en ce qu’on commence par crawler dans toutes sortes de textes, philosophiques, sociologiques, socio-poli- -tiques. »L’équipe renoue-t-elle avec un théâtre engagé ? « Bien sûr qu’on est engagés ! On n’a absolument pas peur de l’être ! » Par leurs contradictions, leurs interlocuteurs leur fournissent les armes pour échapper à la moralisation. Julie Berès propose un exemple : « Les jeunes gens nous disent tous qu’ils ne sont pas violents, qu’ils détestent la violence. On leur demande alors de nous citer leurs dix héros au cinéma. » Et là, surprise, aucun personnage masculin vulnérable ne leur venait spontanément à la bouche - - comme si l’époque contemporaine était finalement plus pingre en la matière que les années 70,qui ont vu poindre Antoine Doinel, le héros faillible de François Truffaut, Alain Souchon ou encore Pierre Richard. « Cette liste de "supermen" établie, ils peuvent alors parler de l’assignation à la force dont ils souffrent terriblement », remarque Kevin Keiss. Une évidence : La Tendresse « n’aurait jamais pu voir le jour sans le mouvement MeToo ». Dans leur traque pour évaluer la manière dont il bouleverse les relations hommes-femmes, les auteurs-enquêteurs observent que les jeunes hommes hétérosexuels ont beaucoup de mal à saisir comment agir lors d’une rencontre amoureuse. Julie Berès : « Ce qui revenait est que les jeunes femmes continuaient d’attendre d’eux une position conquérante, sans qu’ils perçoivent où se situe la ligne rouge. » Graal. Dans le doute et la peur d’un renversement, beaucoup gardent toutes les traces d’une histoire sentimentale, leurs textos notamment. Pour autant, remarque-t-elle, « la révolution en cours ne va pas jusqu’à inverser la valorisation du tableau de chasse. Le corps de la femme reste une valeur ajoutée au regard des autres hommes, il est un outil pour être considéré par le groupe. Tandis qu’une femme qui aligne les conquêtes est, de manière inchangée, rabaissée ». Kevin Keiss poursuit la réflexion : « Beaucoup plus que le féminin, le masculin doit être adoubé par le groupe. Il reste disqualifié s’il ne se conforme pas à certains rites. » Ne pas croire cependant que la Tendresse est construite comme une enquête sociologique. Le terrain n’est qu’une étape préalable. Une fois la marmite d’expressions, de rengaines et d’anecdotes remplie, il reste à inventer une structure dramaturgique avec des séquences chorégraphiques conçues au plateau et jamais en amont. Notamment avec la danseuse Jessica Noita, « qui chorégraphie les gens en les regardant, en fonction de leur possibilité et de leur corps ». L’équipe écrivante se partage alors le travail entre « solo, textes réservoirs et parties chorales ». Le graal est d’atteindre une évidence telle que les acteurs puissent oublier qu’ils ne signent pas le texte. Un risque aussi. « Les actrices de Désobéir avaient tendance à laisser planer l’ambiguïté d’autant que le public aurait mis sa main au feu qu’elles jouent leur propre rôle », se souvient Julie Berès. Mais non ! Le texte est bien sous la responsabilité d’une équipe collégiale d’auteurs, dont la réussite paradoxale tient à leur disparition.
Anne Diatkine, Libération, 15 janvier 2022

La Tendresse Kevin Keiss et Julie Berès
Huit hommes de divers horizons se volent dans les plumes et interrogent ensemble le patriarcat et la masculinité. Épatant et joyeusement explosif !
Une caverne ou un entrepôt ? Le décor gris pierre tient de tout cela et les huit interprètes l’envahissent avec fracas pour y gribouiller à la craie « LA TENDRESSE » en lettres capitales. Tout un programme s’annonce, paradoxalement contraire à cette entrée en matière furieuse où, sur fond de rap dur et brut venu de Marseille, la petite bande explose. Elle nous aura prévenus : elle est capable de tout faire trembler. La suite est plus apaisée. Endossant des paroles empruntées à d’autres ou exprimant leurs propres expériences, ces jeunes adultes tentent un état des lieux de leur condition masculine. Et ils ont fort à faire… Déconstruire le patriarcat transmis par les trois religions monothéistes. Reconsidérer leurs relations aux femmes à l’heure de #MeToo. S’interroger sur le pouvoir normatif de leur groupe de copains. Bref, faire le tri dans leur héritage. Fondatrice de la compagnie Les Cambrioleurs il y a vingt ans, Julie Berès avait déjà offert, dans Désobéiren 2017 (toujours en tournée), un panorama de la situation des filles et de leurs stratégies d’émancipation. Pour sa radiographie de l’identité masculine, elle a étoffé l’équipe de dramaturges (Lisa Guez, en plus de Kevin Keiss et d’Alice Zeniter) et dressé un large éventail de tous les ressentis, injonctions et contradictions possibles. Son tableau est aussi précis que nuancé. Il s’approche du travail théâtral d’Ahmed Madani commencé il y a dix ans (lire page 26). Mais quand celui-ci explore la vie intime au filtre de l’histoire migratoire des quartiers populaires, elle fait davantage le portrait croisé d’une génération en mêlant plusieurs milieux. Comme toujours, elle brasse sur scène des personnalités artistiques différentes. Bboy Junior, l’ex-breaker du collectif Wanted Posse, s’arc-boute sur ses mains avec la grâce d’une hirondelle. Natan déploie de très naturelles arabesques classiques. Tigran joue avec aplomb les bad boys. Romain campe de manière angoissée les « intellos » aux prises avec les vieux modèles. Djamil s’interroge avec délicatesse sur son éventuelle puissance guerrière. Et Alex les provoque tous de son homosexualité sexy et joyeuse. Ils se rassemblent en chœur soudain soudés dans la tchatche comme dans la bagarre. Ou s’écoutent puis se dispersent comme une volée de moineaux. Rien n’est jamais stable sur cette scène, tout comme la réception du public, oscillant entre rires et émotions. C’est bien la grande réussite de ce spectacle qui pose mille questions sans surligner les réponses.
Emmanuelle Bouchez, Télérama, 2 avril 2022

« L’écriture de La Tendresse est le fruit d’un long processus durant lequel se succèdent différentes étapes. Tout d’abord une phase d’immersion. À la manière de journalistes d’investigations, nous, les auteurs, nous sommes intensément documentés sur les questions du masculin en parcourant des essais sociologiques, philosophiques, documentaires. Sans devenir des spécialistes des questions de genre, il fallait, du moins, inscrire le sujet dans sa réalité socio-politique mais aussi dans la façon dont il redessine les frontières de l’imaginaire, de l’intime. Certains mouvements de libération de la parole ont agi comme bissectrices dans l’imaginaire collectif. Il eût été impossible d’écrire ce spectacle de la même façon avant #MeToo. Ce travail documentaire n’est pas que théorique. Il se double de rencontres auprès d’une quarantaine de jeunes gens, issus de milieux différents. Cela permet de mieux comprendre notre sujet, de l’éprouver sensiblement, d’en circonscrire, autant que possible, les enjeux et la façon dont il irrigue toutes les sphères de la société. Quel rapport les jeunes hommes ont-ils au désir ? À la sexualité ? À l’héritage parental ? À la violence ? Quelle place aux larmes, à la consolation de soi-même et des autres ? Comment envisagent-ils l’avenir ? L’argent ? Le fait de devenir père à leur tour ? Quel est l’homme idéal pour eux ? Nous questionnons aussi la place de la tendresse, puisque le titre de la pièce agit comme un programme souterrain. Dans un temps parallèle, les auteurs ont travaillé à partir d’eux-mêmes, de leur imagination, de leurs souvenirs, de leurs nécessités mais aussi à partir des thématiques nommées ensemble. Cela permet de concevoir des matériaux textuels qui s’affinent et se raffinent par la suite. Les textes sont envisagés comme des prises de paroles collectives et singulières, une partition rythmique. Enfin, la rencontre déterminante avec les huit jeunes hommes au plateau, tous issus de milieux différents, acteurs ou danseurs, a marqué une nouvelle étape décisive. L’écriture s’est enrichie et nourrie du travail de plateau dans un entrelacs avec les témoignages des interprètes dont parfois nous nous sommes inspirés, privilégiant ainsi ce jeu entre vérité et fiction, propre à susciter, nous l’espérons, la réflexion, l’humour et l’empathie chez le spectateur. »
Julie Berès

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D'INTÉRÊT NATIONAL
ART ET CRÉATION DANSE